samedi 21 avril 2007

Vignettes de Campagne

Jeux de mains. Ça a commencé lors des assemblées générales contre le contrat première embauche (CPE), en 2006. Dans les amphis, on a vu les étudiants lever les mains et les agiter - applaudir, dans le langage des sourds-muets. Fini les claques, les coups fourrés, les retournements d'alliances de la génération précédente et de ses syndicats : on s'écoute, on se respecte, règles de base de la... démocratie participative. Ces applaudissements muets, mis à la mode par les militants altermondialistes américains lors de forums sociaux ou de contre-sommets, se sont répandus durant la campagne sur les tréteaux de gauche. Tous les candidats ou presque disposent, par ailleurs, dans leurs meetings, d'un traducteur pour sourds-muets, usage imposé par Noël Mamère en 2002, et font traduire leurs clips de campagne.


Le compteur de la dette. C'est Arlette Chabot, directrice de la rédaction de France 2, qui eu l'idée d'imposer, comme décor d'A vous de juger, un tourniquet géant calculant, en temps réel, l'augmentation exponentielle de la dette de l'Etat français. Après le rapport Pébereau, puis la petite phrase lancée par le ministre de l'économie, Thierry Breton, en juin 2005 - "Chaque enfant naît aujourd'hui avec une dette de plus de 17 000 euros" -, le thème a irrigué la campagne et contraint les candidats. Devant Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen, en deux heures d'émission, la dette a augmenté de 15 millions d'euros. Le quotidien L'Humanité s'est indigné de la dramatisation induite par ce "compteur à débiter de l'idéologie" qui "valide d'emblée les solutions libérales". Le candidat de la LCR, Olivier Besancenot, a préféré en détourner le concept en plaçant sur son site Internet un compteur... des avoirs de l'Etat.

Pactes, chartes et engagements. Nicolas Hulot est parti le premier et a donné le ton. L'écologiste a fait signer son pacte dès le 31 janvier à 10 prétendants à l'Elysée. Bernard-Henri Lévy a adopté la même stratégie en faisant signer à François Bayrou, Dominique Voynet, Ségolène Royal et Nicole Guedj, au nom de Nicolas Sarkozy, un acte d'engagement pour le Darfour, à la Mutualité. Le collectif AC le feu, créé en 2005 après l'embrasement des banlieues, a convié les candidats à signer leurs 105 propositions, rédigées sur la base des doléances récoltées dans 120 villes. Sur le plateau de France 2, même Jean-Marie Le Pen a signé ses "engagements", la main cadrée serrée par les caméras. Car c'est le zoom sur le paraphe, parfois multiplié sur écran géant, comme à la Mutualité, qui solennise la promesse. Irruption du "mandat impératif" dans une tradition de démocratie représentative ? Ou ruse désespérée pour prendre les futurs élus au mot - "élections, sommation", comme dit BHL ?

Des affiches sans sigle. Le phénomène s'était amorcé à gauche, en 2002. Il s'est, depuis, généralisé : à l'exception des petits candidats, notamment trotskistes, plus personne ne s'affiche avec la signature de sa formation. Les partis sont devenus ringards, rien n'existe plus que la tête d'affiche : "La France présidente", sans le poing et la rose, "Ensemble, tout devient possible, Sarkozy.fr.", "François Bayrou, la France de toutes nos forces", "Votez Le Pen"... Autre signe de cette campagne ultrapersonnalisée, les entourages et seconds couteaux ont disparu, à l'exception de Marine Le Pen, au FN, et de Marielle de Sarnez, à l'UDF.

Net et vidéos. La campagne présidentielle a désormais une mémoire audiovisuelle, comme l'ont appris, à leurs dépens, Ségolène Royal et Alain Duhamel. Et une nouvelle arme de guerre. Si, il y a cinq ans, Internet n'avait joué qu'un rôle marginal dans la campagne, l'irruption du haut débit a transformé le rapport au Web et les habitudes des Français : dès 10 heures le matin, ruée sur le Net. Mais c'est surtout l'avènement, en 2005, des plates-formes comme Dailymotion ou YouTube qui a bouleversé la donne. Les candidats s'expriment sur leur site (champion de fréquence : Jean-Marie Le Pen). Grâce aux vidéos, on peut aussi écouter les discours de l'adversaire, revoir Arnaud Montebourg à Canal+ ou l'arrestation policière musclée du grand-père chinois sans papiers devant l'école de la rue Rampal, à Paris. On court-circuite les médias tant décriés en se branchant sur les Web-télés militantes comme Ipol, LaTeleLibre.fr et JT2Zero. Les vidéos se révèlent enfin des armes terribles, comme lors de la campagne américaine de 2004. Le clip Polygraph, du mouvement américain MoveOn, où un détecteur de mensonges s'affolait lorsque George Bush évoquait la guerre en Irak, vient d'être "adapté" par Anti-Sarko.net sous le titre : Sarkozy menteur.

"Love Generation" et Marseillaise. Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Les meetings sont l'occasion de communier, sinon dans une idéologie, au moins dans la danse et la musique. Martin Solveig (photo), un des plus grands DJ de la scène électro-house, est venu mixer pour la jeunesse sarkozyste ses propres tubes comme Rejection, mais aussi ceux de Bob Sinclar : Love Generation, le jingle de la "Star Ac'". Avec les lasers, on se croirait dans une boîte d'Ibiza. A l'image de la Fête de l'Huma, devenue un festival de groupes populaires autant qu'un rendez-vous politique, Marcel et son orchestre, groupe de ska trompettes venu du Pas-de-Calais, ont eux aussi chanté sur la scène du Zénith pour la candidate PCF, sans renoncer à leurs traditionnels numéros de bêtes de scène. Chez José Bové, on ose le slam, le théâtre vivant, un rap musette ch'ti qui se produit aussi - diversité oblige - chez le candidat de la LCR. Enfin, tout le monde, du FN - dans une version jazzy - à l'UMP, en passant par François Bayrou, derrière Revelation de Cerrone remixé par Bob Sinclar, chante La Marseillaise, puisque l'hymne clôt désormais les meetings socialistes.

Enfances. Le thème a fait florès, en général sur le mode de l'enfance difficile et de la victimisation. Télévision et presse écrite ont ressorti les images sépia des candidats en nattes et culottes courtes. Personne n'ignore que François Bayrou a perdu son père à 23 ans, tombé accidentellement d'une charrette de foin : il le dit lui-même dans le clip de sa campagne officielle. La plus belle mise en scène a été orchestrée par Ségolène Royal, dont on a feuilleté l'album de photos de jeunesse de Dakar, ville de sa naissance, à Chamagne (photo), dans les Vosges, en passant par la Martinique. Frédéric Nihous est revenu en pèlerinage au bord de l'étang où il pêchait avec son père. Même Marie-George Buffet a contredit la tradition séculaire - le communiste est un militant avant d'être une personne - pour s'en retourner avec des caméras de télévision dans le lycée de sa jeunesse. Quand les influences idéologiques s'estompent, restent l'enracinement géographique - le retour au terroir - et l'archéologie minutieuse de la psychologie des candidats.

Quiz et tests. "De quel candidat êtes-vous le plus proche ?" C'est une campagne Que choisir, où les présidentiables sont mis au banc d'essai comparatif par les électeurs. Dans les émissions politiques, les "citoyens" remplacent les journalistes et posent des questions sur les problèmes qui les concernent. C'est une campagne individualiste, où chacun tente l'introspection de son tempérament, cherche son profil, examine son paradigme politique. Aux générations nées avant la chute du mur de Berlin en succèdent d'autres, qui hésitent et se perdent : "Que voté-je ?" "Qui suis-je ?" Signe de ce flottement : la vogue des quiz et autres tests de préférence ou penchant politique ("De quel candidat êtes-vous le plus proche ?") mise au point par des rédactions ou des instituts de sciences politiques, et où les candidats apparaissent par ordre d'affinités avec la réponse. Même Le Nouvel Observateur (du 12 au 18 avril), gardien du temple du fameux clivage droite-gauche, a consacré sa "une" aux "tribus" d'"écolos paumés", de "gaucho-bayrouistes", de "sarkophobes de droite", d'"anti-ségo de gauche"... Sans oublier la plus peuplée : celle des 18 millions d'indécis.



Via Le Monde




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